Le 16 mai 2011

Dans la cour d'école

Violences passées sous silence

Sophie Payeur

Les médias rapportent sans hésiter les fusillades et autres événements tragiques perpétrés en milieu scolaire. Loin des projecteurs, des milliers de drames invisibles se perpétuent en silence dans les cours d'école.

Journaliste, recherchiste et croqueuse de bouquins, Geneviève Martel est une curieuse inassouvie. Cette blonde de 32 ans aux yeux bleus bien branchés sur le monde n'a pas la langue dans sa poche. Elle a aussi la mémoire longue.

Jeune fille rêveuse et élève douée, Geneviève souhaitait, au début de son adolescence, devenir populaire. «Les élèves faisant partie des cercles po­pulaires étaient dispersés dans d'autres classes de sixième année. Je tâchais de m'en faire des amis, mais une fille de ma classe a pensé qu'il fallait m'exclure.»

L'hostilité s'est d'abord manifestée de manière sournoise, puis elle est devenue plus grande. «La fille en question avait deux faces : en classe elle était amicale, mais à l'extérieur elle était dénigrante. Je me souviens de la fête d'anniversaire à laquelle elle avait invité toute la classe. Lorsque je lui ai demandé à quelle heure elle souhaitait nous voir, elle m'a informée que je n'étais pas invitée. Je l'avais toujours traitée de manière amicale; ça m'a fait mal.»

Le dénigrement s'est accentué de manière insidieuse. La fin de l'année a été explosive. «La dernière journée de ma sixième année, la fille a volé une de mes chaussures. J'ai dû courir à la grandeur de la cour de récréation pour la récupérer. N'en pouvant plus, j'ai fini par sauter sur elle! J'ai gardé son air narquois comme souvenir de ma dernière journée au primaire.»

L'histoire de Geneviève, c'est celle que vivent quotidiennement des milliers de jeunes écoliers. Alors que les agressions physiques ou armées demeurent relati­vement rares dans les écoles du Québec, la violence psychologique est monnaie courante. En apparence banal — voire normal — ce type d'agression figure parmi les formes de violence les plus souffrantes. «Ce ne sont pas les évé­nements tragiques qui minent les climats scolaires et qui causent le plus de vic­times, affirme Claire Beaumont, qui dirige l'Observatoire canadien pour la prévention de la violence à l'école. Ce sont les petites violences quotidiennes.»

Ces «petites violences quotidiennes» sont ce que le milieu scolaire appelle des «actes de gravité mineure» : l'humiliation, le mépris, les insultes, le chantage, le dénigrement, l'ostracisme, le rejet et, plus récemment, la cyber­agression. Ces actes sont peut-être moins spectaculaires que ceux qui portent atteinte à l'intégrité physique, mais ils sont tout aussi préoccupants car ils ruinent progressivement la santé mentale. «Dans certains cas, ça pousse les victimes à abandonner l'école, parfois même à se suicider, signale la profes­seure Pierrette Verlaan, du Département de psychoéducation de l'UdeS. Le suicide d'une jeune adolescente de Colombie-Britannique, en novembre 2000, victime pendant longtemps d'ostracisme et de harcèlement de la part d'autres élèves, montre jusqu'où peut aller cette souffrance.» Cette jeune fille était la cible d'une forme particulière d'intimidation, une agression invisible qui accentue la vul­nérabilité de la victime de manière inquiétante : la violence indirecte, telle que vécue par Geneviève.

Le mal invisible

La psychoéducatrice Marie-Sol Caron en a déjà fait l'expérience à l'école primaire où elle travaillait. «L'ensei­gnante ne pouvait plus enseigner, se souvient-elle. Des messages écrits au sujet d'une fillette circulaient conti­nuellement. Ils étaient rédigés à son insu et ils visaient clairement à la ridi­culiser. Ils occupaient toute l'attention des élèves, c'était le chaos. Tout le monde en a souffert.» Marie-Sol a dû intervenir de façon ferme : des règles visant spécifiquement les agressions indirectes?1 ont été appliquées dans cette classe de sixième année. La directrice s'est impliquée dans la résolution du problème et les parents ont été sensibilisés.

Comme le scorpion, «l'agresseur indirect» reste dans l'ombre et isole sa proie sans l'affronter. Le plus souvent, il agit en dehors des salles de classe : dans les corridors, la cour de récréation, les toilettes ou l'autobus. L'agresseur brime les relations de sa victime et son sentiment d'appartenance sociale par toutes sortes de moyens hypocrites : raconter des ragots, ridiculiser la personne dans son dos ou l'ignorer volontairement, comme ça a été le cas pour Geneviève Martel. «Pendant toute une année, je me suis sentie isolée, plaide Geneviève. La manipu­lation et la méchanceté larvée de cette fille, à qui je n'avais rien fait, m'ont laissé, au bout du compte, un souvenir cuisant. Encore aujourd'hui, je n'ai aucune idée de ce qui l'a poussée à me traiter de la sorte.»

De manière générale, les filles et les garçons adoptent des conduites violentes dans des proportions semblables. Par ailleurs, selon une enquête de l'Organisation mondiale de la santé, 17 % des élèves canadiens rapportent avoir été victimes d'intimidation au moins deux fois au cours de la dernière semaine. Toutefois, alors que les garçons sont plus concernés par les agressions physiques, des recherches suggèrent que les filles commettraient davantage d'agressions dites indirectes. Cette différence entre les sexes serait plus marquée lors de la période qui marque le passage à l'adolescence.

Qu'est-ce qui motive les «agresseurs indirects»? Il semble, selon certains chercheurs, que ces comportements soient reliés au besoin de s'adapter à son milieu ou au désir d'être accepté par son groupe d'amis?2.

Certaines données recueillies auprès de jeunes adolescentes australiennes indiquent que les filles ont recours à l'agression indirecte par jalousie, pour se venger de quelqu'un, pour lui voler un ami ou pour se mettre en valeur. Les filles utiliseraient également cette forme de violence simplement pour se désen­nuyer, pour créer une source d'exci­tation dans le groupe ou pour suivre un leader?3.

Dans certains cas, ceux qui se livrent à de telles agressions manifesteraient davantage de troubles de comportement, dont la sévérité atteint parfois le seuil clinique?4. Par ailleurs, un nombre considérable de cas de dépression serait observé chez les victimes d'agression indirecte; celles-ci semblent avoir une faible estime d'elles-mêmes et se croient souvent responsables de ce qui leur arrive, et ce, peu importe qu'il s'agisse de garçons ou de filles?5.

1 Crick, N.R. et Grotpeter, J.K. (1995); Ostrov, J.M. et Keating, C.F. (2004); Zimmer-Gembeck, M., Geiger, T.C. et Crick, N.R. (2005); Xie, H., Farmer, T.W. et Cairns, B.D. (2003).

2 Verlaan, P., Déry, M., Toupin, J. et Pauzé, R. (sous presse); Wolke, D., Woods, S., Bloomfield, L. et Karstadt, L. (2000).

3 Owens, L., Slee, P. et Shute, R. (2000).

4 Achenbach, T. (1991).

5 Crick, N.R., Grotpeter, J.K. et Bigbee, M.A. (2002), Ladd, B.K. et Ladd, G.W. (2001).

Difficile à reconnaître

«Comme cette violence est difficile à identifier pour ceux qui la vivent, elle n'est pas facile à chiffrer», commente Marie-Sol Caron. Fortement sensibilisée à ce problème, Marie-Sol a entrepris des études de maîtrise et a conduit une enquête sur l'agression indirecte, réalisée auprès du personnel des écoles primaires. «Leurs réponses nous amènent à conclure qu'il y a autant de manifes­tations d'agres­sion indirecte que de manifestations d'agression directe dans les écoles», déclare-t-elle. Un résultat qui concorde avec certaines statistiques de l'Enquête sur la violence à l'école du Québec (EVEQ), la seule étude québécoise sérieuse à s'être penchée sur l'ensemble du phé­nomène : 70 % des membres du person­nel scolaire interrogés perçoivent des compor­tements de rejet et d'isolement chez leurs élèves.

Les résultats recueillis par Marie-Sol auprès de 19 écoles de l'Estrie et de la Montérégie portent à croire que les membres du personnel scolaire sont conscients qu'il existe dans leur établissement des cas d'ostracisme. Geneviève Martel, elle, n'en est pas si sûre. «L'enseignante de ma classe, la seule adulte qui aurait pu intervenir, n'a jamais admis qu'il y avait un conflit entre mon bourreau et moi. Est-ce parce qu'elle n'a pas réalisé ce qui se passait? A-t-elle choisi de fermer les yeux délibérément? Je pense que la vérité se trouve quelque part entre les deux.»

Au cours des dix dernières années, la formation universitaire des futurs enseignants est passée de trois à quatre ans, dans le but notamment d'accroître les activités pédagogiques visant à dé­velopper les compétences pour gérer les problèmes de compor­tements et les situations difficiles. Des chercheurs universitaires et des inter­venants des milieux scolaires québécois ont aussi entrepris plusieurs actions visant une meilleure adaptation scolaire et sociale des élèves.

Néanmoins, malgré cette volonté manifeste de mieux répondre aux besoins des élèves, des efforts de sensibilisation restent encore à faire auprès du personnel scolaire. Des chercheurs indiquent en effet que même si la majorité du personnel scolaire remarque chez les élèves des comportements liés à l'agression indirecte, il n'intervient que dans un cas sur cinq. En contrepartie, lorsqu'il est question d'agressions physiques, le personnel agit une fois sur deux. Dans les cas d'agressions verbales, il inter­vient une fois sur trois?6.

«La grande majorité des interve-nants que nous avons questionnés disent avoir déjà entendu parler de la violence indirecte, affirme Marie-Sol Caron. Pourtant, seulement 30 % de nos répon­dants disent avoir recours à des mesures pour contrer l'agression indirecte. En revanche, les mesures touchant les agressions directes ont été évoquées par près de la totalité d'entre eux (91,6 %).»

D'autres enquêtes rapportent qu'un enseignant sur quatre considère que répandre des rumeurs et ignorer une personne ne sont pas des actes d'inti­midation. Lorsqu'il s'agit d'exclure une personne d'un groupe, plus de la moitié des enseignants répond que ce n'est pas de l'intimidation?7.

«Pour l'instant, on ne parle pas le même langage!», s'exclame la profes­seure Pierrette Verlaan, qui a dirigé les travaux de Marie-Sol Caron. «Il y a encore beaucoup de sensibilisation à faire, notamment auprès des directions d'école.» Selon elle, plusieurs intervenants scolaires ignorent les situations d'agression indirecte parce qu'ils ne savent pas encore les reconnaître. «Certains pensent toujours qu'il s'agit d'une étape normale du développement. D'autres ignorent les conséquences ravageuses de ces actes sur les victimes. Pourtant, les impacts peuvent se faire sentir jusqu'à l'âge adulte : sans intervention, les agresseurs se confortent dans leurs agirs violents et ils risquent de les reproduire toute leur vie. Plusieurs enseignants ne croient pas que l'agression indirecte soit une question de cruauté ou de méchanceté. Mais c'est un problème grave, entre autres parce qu'il est sous-estimé.»

Cette attitude passive du milieu scolaire a un impact majeur, puisqu'elle offre à l'agresseur les conditions idéales pour conserver sa position de force. Si la victime pense que les adultes ignorent son problème, il y a très peu de chances qu'elle trouve le courage de dénoncer son adversaire. L'agresseur, lui, croit que ce qu'il fait est toléré et permis par le milieu scolaire.

«C'est tellement facile de se com­porter de manière à dénigrer quel­qu'un!», lance Geneviève Martel. Après avoir été la cible de quelques épisodes d'intimidation, Geneviève a décidé de faire subir à une autre ce qu'elle avait elle-même enduré. Elle a adopté une attitude franchement apathique à l'égard d'une camarade de classe qui tentait de s'introduire dans son cercle d'amis. Le vent a tourné lorsque la jeune fille en question a affronté Geneviève. «Surprise, je lui ai présenté mes excuses et j'ai réajusté mon attitude. Mais j'en retiens que ceux qui intimident ne rencontrent pas beaucoup d'obstacles, si ce n'est la victime elle-même!»

Le milieu scolaire, pense Geneviève, doit être proactif et «mettre ses culottes». «Ce type d'agression doit être arrêté aussitôt qu'il est observé, ajoute-t-elle. Il faut crever l'abcès et montrer aux élèves concernés à régler leurs conflits, en leur demandant de s'expli­quer. Mais je suis consciente qu'on exige déjà beaucoup de choses des enseignants.»

6 Xie, H., Cairns, B.D. et Cairns, R.B. (2005); Xie, H., Farmer, T.W. et Cairns, B.D. (2003).

7 Boulton, M.J. (1997).

Des enseignants en quête d'outils

Geneviève Martel a raison. Un ensei­gnant sur cinq quitte la profession au cours de ses cinq premières années de carrière. Parmi les difficultés jugées insurmontables figurent la dynamique de gestion de classe et l'intervention auprès des élèves aux comportements difficiles. «La plupart des profes­seurs se sentent démunis quand ils font face aux comportements agressifs des enfants», confirme Claire Beaumont, qui reconnaît du même coup l'énorme tâche qui incombe tous les jours aux enseignants. «C'est d'autant plus vrai dans le cas des comportements d'agres­sion indirecte», ajoute Pierrette Verlaan.

Les enseignants qui interviennent, soulignons-le, le font à l'aide de leur «gros bon sens» et de leurs connaissances. Il n'en reste pas moins que leur for­mation les prépare encore relativement peu à faire face aux comportements agressifs des jeunes qu'ils côtoient tous les jours.

Au Québec comme en France, 4 % de la durée de formation des futurs maîtres du primaire est consacrée à la gestion des comportements agressifs. Au secondaire, cette proportion est de 3,75 % pour la formation québécoise. «C'est bien peu, commente Claire Beaumont. Surtout si l'on considère l'espace qu'occupe la gestion de ces comportements dans la tâche d'un enseignant.»

Mais attention, dit Céline Garant, doyenne de la Faculté d'éducation de l'UdeS. Même si les activités offertes dans les universités sont de plus en
plus pertinentes, les jeunes enseignants auront à faire face à ces problèmes de violence indirecte au moment d'entrer en carrière, parce qu'ils en auront la pleine responsabilité. «Tant qu'ils sont dans la classe de quelqu'un d'autre — en stage, par exemple — ils ne sont pas exposés aussi fortement à la violence et aux problèmes de com­portement, affirme Céline Garant. Heureusement, beaucoup de jeunes enseignants, comme ceux de l'Estrie, bénéficient de programmes de men­torat et sont accompagnés dans la prise en charge de ces situations difficiles.»

La Commission scolaire des Sommets, en Estrie, a mis sur pied un programme de mentorat permettant d'accompagner les ensei­gnants en début de carrière.

L'an dernier, 108 personnes ont pris part au programme, ce qui a permis de diminuer le nombre de départs et de congés.

«Les outils existent», avance l'étu­diante et chercheuse Natalia Garcia. Autrefois psychologue dans une école primaire d'une petite ville colom­bienne, Natalia Garcia est à l'Université de Sherbrooke pour effectuer un doctorat sur la prévention de la violence en milieu scolaire. «Plusieurs de ces programmes ont d'ailleurs été validés et expérimentés sérieusement. Mais le milieu scolaire se dit démuni. Pourquoi? On l'ignore encore.» Ses travaux visent entre autres à mieux comprendre le fossé qui sépare le milieu scolaire du monde de la recherche.

Les directions d'école interpellées

Le regard baigné par ses souvenirs d'enfance, Geneviève Martel avoue avoir supporté cette époque tumul­tueuse de son adolescence grâce, en partie, à sa famille. «Je crois surtout que le fait d'être épaulé et valorisé par des pairs ou des adultes de l'entourage constitue une arme face au rejet.»

«Bien des comportements violents, y compris les agressions indirectes, im­pliquent plusieurs interactions sociales à la fois, dit Pierrette Verlaan. Il y a l'agresseur et il y a la victime. Il y a aussi le groupe auquel appartient l'agresseur. Et si, en plus, le milieu scolaire demeure passif, la victime perçoit qu'elle est rejetée par toute son école.» C'est ici que le rôle de la direction prend toute son importance : son attitude face aux problèmes et aux besoins soulevés par toutes les formes de violence vécues dans l'établissement a un impact déterminant sur le climat scolaire et la conduite du personnel. L'attitude des parents joue aussi pour beaucoup : si sa détresse n'est pas reconnue par son milieu familial, l'enfant conclura que personne d'autre ne peut l'aider.

Pour se sentir en sécurité dans son école, l'élève doit surtout avoir la conviction que le milieu dans lequel il évolue ne tolère aucune manifestation de violence. Même si certaines écoles ont des règles claires quant aux comportements violents, plusieurs les appliquent de manière inconstante. Dans son enquête, Marie-Sol Caron a constaté qu'aucun règlement touchant spécifiquement les conduites agressives indirectes n'a été évoqué par les répondants. «Les directions d'écoles doivent reconnaître toutes les mani­festations de violence, même les plus subtiles, et émettre des politiques claires, pense Pierrette Verlaan. Elles doivent aussi impliquer les parents.»

En janvier 2007, le gouvernement québécois annonçait qu'il allait mettre en place un plan d'action pour lutter contre la violence à l'école. Au moment d'aller sous presse, le contenu de ce plan, tout comme les moyens qui l'accom­pa­gneront, n'étaient toujours pas dévoilés.

Aucune mesure, toutefois, ne saura répondre entièrement au besoin gran­dissant de repenser le rôle de l'école et de l'enseignant. Un rôle qui n'est désormais plus celui d'enseigner uniquement des matières scolaires, mais bien celui d'un milieu éducateur qui favorise les occasions d'apprendre et de grandir dans toutes les situations de la vie.

La cyberagression

Le Québec est frappé par une vague qui sévit en France depuis déjà un moment : la cyberagression. Celui ou celle qui s’y adonne dispose d’outils bien de son temps, soit Internet et le téléphone cellulaire. La personne ciblée reçoit des messages d’insultes ou de menaces par courriel ou par messagerie instantanée. Le cyberagresseur peut aussi faire circuler des photos ou des commentaires haineux sur une personne par des messages ou en les affichant sur un site Web. Un jeune qui est harcelé à l’école peut maintenant l’être jusque dans sa chambre, à toute heure du jour ou de la nuit.

L’intimidation en ligne échappe à la surveillance des adultes et le caractère anonyme d’Internet incite les jeunes à se distancier des actes qu’ils commettent. L’organisme SOS Benjamin, en France, a répertorié 200 manifestations de cyberagression au cours des six premiers mois de 2006. Depuis janvier 2007, le projet de loi de Sarkozy sur la délinquance reconnaît dorénavant la cyberagression comme une forme de délit.

Un programme estrien pour contrer la violence indirecte

Avec l’aide de la conseillère pédagogique France Turmel, au service des écoles de l’Estrie, la professeure Pierrette Verlaan a mis sur pied une trousse de sensibilisation pour prévenir les conduites d’agression indirecte. La trousse L’agression indirecte, cette violence qu’on ne voit pas... s’adresse aux élèves, à leurs parents, ainsi qu’au personnel enseignant et professionnel. Plusieurs partenaires estriens ont apporté leur contribution à cettre trousse, en particulier des intervenants des commissions scolaires et de la Régie de la santé et des services sociaux.

Des élèves de 5e et 6e années ont participé au programme. Ces cohortes d’élèves ont été comparées à celles d’élèves d’une école témoin. L’évaluation du programme a ainsi démontré une amélioration significative des connaissances liées au phénomène de l’agression indirecte, telles que les caractéristiques des agresseurs et les conséquences psychologiques de leurs actes sur les témoins.

Un autre volet de ce même programme vise l’intervention en milieu scolaire. Le but est de fournir au milieu scolaire des stratégies d’intervention ciblées permettant d’inten­sifier l’intervention auprès des élèves qui sont le plus en difficulté. Tous les partenaires du milieu scolaire, incluant les élèves et les parents, sont interpellés par ce programme. Expérimenté à l’hiver 2007 à l’école Sainte-Camille de Cookshire, ce programme est en cours d’évaluation. Des résultats préliminaires indiquent néanmoins que les ensei­gnantes perçoivent une meilleure connaissance du phénomène chez les élèves, que ceux-ci éprouvent plus d’empathie envers leurs camarades de classe et qu’ils ont davantage de moyens pour agir. Les enseignantes rapportent aussi qu’elles ont plus de moyens pour intervenir et que les élèves ont davantage de mots pour s’exprimer.

En revanche, les enseignantes ne sont pas en mesure d’affirmer qu’il y a eu une diminution des conflits liés à l’agression indirecte.

Pour se procurer la trousse du programme L'agression indirecte, cette violence qu'on ne voit pas..., volet sensibilisation : www.clipp.ca.

Les sentinelles du projet Unité sans violence

Jean-François Bolduc a connu le taxage et l’intimidation lors de son passage au secondaire. Fréquentée par des élèves issus en bonne partie de milieux défavorisés, son école ne pouvait compter sur l’aide que d’un intervenant, à raison d’une seule journée par deux semaines. «Il y avait fréquemment des bagarres, fait valoir Jean-François. Mais surtout, il n’y avait aucun encadrement. Même les enseignants avaient peur. Encore aujourd’hui, les enseignants ont peur.»

Fraîchement diplômé du programme de techniques policières au Cégep de Sherbrooke, Jean-François Bolduc souhaite que les jeunes puissent se prémunir contre la violence dans leur école. Soutenu par Liette Picard, enseignante du programme de techni­ques policières, son désir a donné naissance au programme Unité sans violence, exprimez-vous! Implanté en 2006 dans quelques classes de 6e année primaire de quelques écoles de la région de Sherbrooke et de Québec, le programme vise à sensibiliser les élèves à toutes les manifestations de violence. Un policier présente les différents comportements violents qu’on retrouve à l’école. Ensuite, une fois par semaine, les jeunes impliqués portent un chandail aux couleurs du programme, au dos duquel ils inscrivent les comportements qu’ils désapprouvent et refusent de tolérer. «Les élèves de 6e année sont les plus vieux de l’école, explique Jean-François. On leur a donné le rôle de sentinelles pour qu’ils veillent sur les plus jeunes et dénoncent les actes dont ils étaient témoins.» Jacinthe Labonté, une collègue étudiante de Jean-François, a également prêté main forte à la création du programme.

Lise Blais est une des enseignantes qui a permis l’expérience dans sa classe de l’école primaire Jean XXIII. Sur 23 élèves, 19 étaient des garçons. «J’ai vu la différence, affirme-t-elle, les enfants ont maintenant le réflexe de se mettre dans la peau des autres. Ils font preuve de plus d’empathie, ils se protègent entre eux.» Jean-François Bolduc estime quant à lui que 50 % des élèves sont intervenus auprès de leurs camarades agresseurs ou victimes.

Issu d’un milieu familial où les problèmes de comportement de ses frères et sœurs se transformaient parfois en gestes criminels, Jean-François croit qu’il faut cibler particulièrement les élèves de 6e année. «Le passage au niveau secondaire implique de nouvelles réalités et nous place devant des choix de vie qui peuvent avoir des conséquences décisives sur l’avenir. Il faut sensibiliser les jeunes de 6e année aux effets que peuvent avoir leurs comportements, non seulement sur les autres mais aussi sur leur propre bien-être. Tout se joue à cet âge.»

Financé par Info-Crime, le projet Unité sans violence, exprimez-vous! semble faire boule de neige : d’autres écoles de l’Estrie et de Montréal désirent implanter le programme. Le Service de police de la Ville de Montréal est lui aussi intéressé à l’expérimenter sur son territoire.

La violence dans les écoles du Québec

Selon l’Enquête sur la violence à l’école du Québec (EVEQ), près de la moitié des jeunes sont, dès le primaire, victimes de violence à au moins une occasion. Presque chaque jour, près de 60 % des adolescents de 12 à 17 ans subissent les insultes de leurs camarades de classe. Les médisances touchent quotidiennement 12 % des ados; 14 % d’entre eux en seraient victimes plusieurs fois par semaine. Quant aux agressions physiques ou armées, elles demeureraient relativement rares, tant au primaire qu’au secondaire.

Certainement préoccupantes, ces données incitent à penser que le phénomène de la vio­lence à l’école est en progression. Or il n’en est rien. «Aucune recherche rigoureuse ne permet de conclure que le phénomène est en expansion au Québec», indique la doctorante Natalia Garcia.

Certains scientifiques croient que les actes de violence à l’école n’auraient pas augmenté au cours des 20 dernières années. Aux États-Unis, des données montrent même que ce type d’événements aurait diminué au cours de la dernière décennie. En Estrie, une recherche récente effectuée par l’équipe de Claire Beaumont auprès d’élèves du secondaire va dans le même sens. Comparée à des élèves de 1996, une cohorte de 2005 d’une école secondaire de la région s’est révélée mieux adaptée à son milieu scolaire, ayant adopté moins de comportements agressifs.

Il n’en demeure pas moins que la victimisation est un phénomène bien réel au Québec, tant dans les écoles primaires que dans les écoles secondaires. Et les enseignants ne sont pas en reste : 80 % d’entre eux déclarent avoir été victimes de violence verbale. Un enseignant sur cinq dit avoir été victime de violence physique. «Les violences seraient vécues le plus souvent dans la classe ou dans les corridors, signale Claire Beaumont. Elles font souvent naître un sentiment d’incompétence et une perte d’intérêt pour la profession.»